Passer au contenu

/ Centre d'études médiévales

Je donne

Rechercher

Navigation secondaire

Le Moyen Âge, c'est plus que des châteaux!

C'est pour le plaisir que Francis Gingras s'est inscrit à quelques cours de littérature du Moyen Âge à l'Université de Montpellier, en France, à un moment où il envisageait plutôt des études en science politique.

 

C'est pour le plaisir que Francis Gingras s'est inscrit à quelques cours de littérature du Moyen Âge à l'Université de Montpellier, en France, à un moment où il envisageait plutôt des études en science politique. Cette décision allait changer sa vie. «Exercer une profession liée à la littérature me paraissait difficile et peut-être pas très sérieux, dit celui qui est aujourd'hui secrétaire de la Faculté des arts et des sciences, professeur titulaire au Département des littératures de langue française et directeur du Centre d'études médiévales de l'Université de Montréal. Ma première idée était de devenir journaliste... surtout pour voyager.»

Son séjour devait durer six mois; il est revenu presque 10 ans plus tard, avec une licence, une maîtrise et un doctorat. Sa thèse sur l'érotisme et le merveilleux dans les récits français des 12e et 13e siècles sera publiée chez Honoré Champion, un important éditeur de Paris.

Sa carrière universitaire était lancée, d'abord à l'Université Western Ontario, puis à l'UdeM, où il obtient un poste en 2003. Il donne des cours d'histoire de la langue et de littérature médiévale et poursuit actuellement des recherches sur les recueils manuscrits de fabliaux avec des collègues suisses et allemands. Il collabore également au projet «Analyse du récit à l'ère d'Internet : textes, outils et chercheurs en réseaux» et dirige l'équipe montréalaise du projet d'inventaire des imprimés anciens du Québec.

Un peu plus que les barbares

Que connaît-on du Moyen Âge en 2015 à part les croisades, les inégalités sociales et les barbares? «Disons que les châteaux forts et la violence religieuse, c'est un peu court pour résumer environ 1000 ans d'histoire, répond-il en souriant, habitué à ce genre de commentaire. Le Moyen Âge est aussi une période d'essor culturel. C'est l'époque du développement des villes, de la naissance des universités. À côté du latin, le français devient progressivement l'autre langue des élites. La littérature romanesque fait son apparition.»

Ses travaux sur le 12e siècle l'amènent à remonter aux origines du roman, un mot qui résume à lui seul beaucoup de choses. «On commence à écrire certains textes dans la langue romane de préférence au latin. Les premiers récits de fiction écrits dans la langue commune – déjà peuplés de fées et de géants – voient le jour en marge de la langue et des doctrines officielles. Ce qu'on allait appeler “la littérature française” naît à cette époque et notamment, amusant paradoxe, dans les îles britanniques.»

Ses recherches ont mené Francis Gingras à se pencher sur les fabliaux, des récits souvent grivois et humoristiques publiés à l'intérieur même des recueils où l'on trouve des textes très contrastés, même des prières à la Vierge à côté d'écrits qui célèbrent plutôt l'anatomie masculine et féminine! Comment le clergé pouvait-il laisser recopier des textes de ce genre? «À plus d'un titre, l'Église du 19e siècle est beaucoup plus prude qu'à l'époque médiévale. On croit que ce genre de textes était toléré parce qu'il n'entravait pas la piété et que, au contraire, il pouvait servir à transmettre une certaine moralité, ne serait-ce qu'en tant que contre-exemple.»

Dans Profession médiéviste, paru l'an dernier aux Presses de l'Université de Montréal (PUM), le professeur Gingras rappelle la nature «construite» de cette période historique. «Qu'il soit noirci ou idéalisé, le Moyen Âge est d'abord le fruit de l'imagination de ceux qui sont venus après lui, écrit-il. Les manuscrits, les monuments, les traces qui sont encore accessibles permettent de tempérer ce qui relève du fantasme, mais le médiéviste participe toujours à l'invention d'une époque qui est d'abord un produit de l'esprit.»

À l'heure de la mode gothique, le Moyen Âge a certainement une saveur contemporaine. Les séries télévisuelles comme Le trône de fer et les romans adaptés au grand écran tels que Le seigneur des anneaux ou Da Vinci Code puisent leur essence dans l'époque médiévale (avec la légende du Graal dans ce dernier cas). Comme scientifique, le médiéviste fait un travail où convergent l'histoire, la linguistique, la philosophie et bien d'autres disciplines encore. Il n'est pas mauvais pour ces érudits de maîtriser, par exemple, des concepts de numismatique (étude des pièces de monnaie) et de sigillographie, cette science des sceaux rendue célèbre par le professeur Halambique dans Le sceptre d'Ottokar, huitième album de Tintin.

Un pied dans notre monde

Rien n'empêche un médiéviste de s'intéresser au présent. Francis Gingras vient de publier aux PUM Miroir du français : éléments pour une histoire culturelle de la langue française. Dans cette anthologie de presque 500 pages, on peut lire des textes en latin, ancien français, moyen français, français de la Renaissance, classique, moderne et contemporain. «Des graffitis de Pompéi jusqu'à la vive réaction d'une auteure québécoise à la question “Pourquoi écrivez-vous en français?”, cet ouvrage donne vie aux différentes étapes qui ont contribué à forger la langue que nous écrivons», peut-on lire sur la quatrième de couverture.

Depuis les premiers auteurs français jusqu'à Michel Tremblay, les écrivains se sont toujours interrogés sur la langue, explique Francis Gingras en entrevue; leur rôle dans l'histoire de la langue est fondamental pour saisir pleinement ses dimensions culturelle et sociale. Cette question est d'ailleurs au cœur de son cours Littérature et histoire de la langue, pour lequel il a d'abord conçu cette anthologie.

Certains de ses ouvrages sont déjà offerts en version numérique. Voit-il avec crainte cette dématérialisation du livre? Pas le moins du monde. «Il n'y a que le support qui change, souligne-t-il. D'ailleurs, un texte qu'on voit défiler sur sa tablette électronique n'est pas très différent du rouleau sur lequel les scribes copiaient les textes anciens. On lisait en déroulant le parchemin...»

Mathieu-Robert Sauvé

 

Francis Gingras, Miroir du français : éléments pour une histoire culturelle de la langue française, collection Espace littéraire, PUM, 2015, 480 pages.

 

Francis Gingras, Profession médiéviste, collection Profession, PUM, 2014, 72 pages.

Lire l'article sur UdeMNouvelles